Michèu PRAT
9 lèia de Chabanòtas
05 000 Gap / Occitània
Telefòn: 04 92 53 50 73
Telecòpia: 04 92 51 41 63
E.Malh: Micheu.Prat@wanadoo.fr

Gap, dijòus, lo 24 de janvier de 2002

Ce texte d'appel, lancé par Robert Lafont, n'a pas encore fait l'objet d'une diffusion publique (auprès des médias), nous escomptons franchir le nombre de 500 signatures avant diffusion dans la presse.

Vous seriez très aimable de transmettre ce texte à vos correspondants respectifs, en indiquant que les accords de signatures doivent être transmis à:

Michèu Prat <Micheu.Prat@wanadoo.fr>

Il suffit d'indiquer dans le courrier électronique:

- Nom et prénom,
- Qualités (titre(s), diplôme(s), profession...),
- Adresse (avec code postal et commune, ville ou village)
- et son accord pour être signataire de ce texte.

Je vous remercie sincèrement de votre participation et de votre engagement.

Michèu Prat, Gap (05), Occitània

APPEL POUR LA JUSTICE LINGUISTIQUE EN FRANCE

Les signataires de cet appel sont tous des citoyens français conscients de l'être. Un certain nombre d'entre eux, parmi les aînés, ont inauguré leur vie d'hommes et de femmes par la lutte contre l'occupant nazi et ses valets, pour la restauration de la République. Les autres ont pendant le demi-siècle écoulé prouvé par leur action civique, dans le cadre ou non de partis ou d'associations démocratiques et laïques, leur attachement aux valeurs universellement reconnues qui fondent en droit cette République.

Usagers et pour beaucoup enseignants de la langue française, ayant passé les examens et concours qui sanctionnent sa connaissance, pour certains écrivains qui ont démontré qu'ils savaient en utiliser les ressources et en épuiser les subtilités, ils se sont inscrits dans la pratique à égalité avec ses défenseurs proclamés.

Ils n'ont donc, ni sur le plan de la citoyenneté, ni sur le plan de la culture, aucune leçon à recevoir de personne en France. Mais ils se sont prononcés, pour des raisons d'héritage familial ou de choix raisonné, pour la défense et promotion des langues dites "régionales". À ce titre, ils se disent aujourd'hui personnellement blessés et intellectuellement indignés par une campagne qui se développe, à partir du texte de la Constitution de l'État et de vieilles habitudes mentales incrustées en préjugés opaques dans l'opinion publique, contre cette promotion, en particulier scolaire. Ils dénoncent dans une partie de la presse des attaques où la mauvaise foi le dispute à l'ignorance, tendant à les situer dans le camp qu'ils ont combattu et continueront de combattre. Ils s'attristent d'une conjuration de syndicats et de groupements qui conduit une offensive visiblement orchestrée contre la modernisation de la France qu'ils ont la conviction de représenter. Pour le passé, il leur est un devoir de rappeler, selon une morale culturelle maintenant acquise au niveau mondial comme selon les enseignements de la socio- et de la psycholinguistique dans leurs progrès:
- que la campagne menée jusqu'à une date récente par l'école et tout l'appareil d'État contre les "langues régionales", dévaluées en "patois", s'inscrit en fait contre l'expérience répandue que le multilinguisme précoce favorise les aptitudes à l'apprentissage de nouvelles langues. Le monolinguisme au contraire développe un blocage spécifique dans les limites d'un seul système. La France s'est ainsi forgé une nation d'infirmes linguistiques, ce qui est aujourd'hui patent.
- que cette campagne punitive, intervenant dès l'enfance sur des sujets humains déjà construits dans un cadre d'usages familiaux et locaux, revient à une invalidation de l'origine, d'effet hautement traumatisant. Elle fabrique une névrose spécifique (haine de soi, adhésion à la répression, surestimation nationaliste propre à l'aliéné culturel).

La République et son école ont ainsi sous-tendu la mission éducatrice et de promotion sociale à laquelle elles prétendaient de la généralisation d'un malaise dévastateur de la personne.

La dépréciation sociale des langues déchues du haut usage que se réservait la langue française revient à une ignorance entretenue de leur nature et de leur importance culturelle passée. La France a ainsi privé de dignité, en rêvant de les priver d'existence, outre les langues qui enveloppaient toute la vie sociale et culturelle, comme le corse, le flamand, le basque ou le créole, le breton, dont le celtisme est une des sources de la culture européenne, l'occitan, qui de cette culture a été au XIIe siècle la source principale, le catalan, son frère, qui a reconquis son statut à Barcelone sans que Perpignan le sache, une forme linguistique aussi originale que le basque. Si l'on ajoute la façon dont a été réinterprétée l'histoire de l'"Unité française", en effaçant les crimes d'annexion et les atrocités de conquête, on peut dire sans erreur que la France s'est rendue coupable de ce qui a été appelé un "ethnocide culturel", digne d'un État totalitaire.

Ces "fautes contre l'humanité" peuvent être mises au compte d'un passif de violations des principes fondant la République, qui comprend aussi la conquête, l'exploitation et la répression coloniales avec la haine de l'étranger, tournant aux réflexes racistes en temps de guerre. Elles ont aussi leur gravité et sont de nature, nous semble-t-il, à poser un "droit à réparation historique". Pour le présent , sans aller jusqu'à la reconnaissance de ce droit, l'ensemble de la population française a abandonné ses préjugés nationalo-linguistiques, comme le prouvent les enquêtes. Une sorte de nostalgie de ce qui a manqué être tué s'est mise à vibrer en elle. Mis à part quelques forcenés de l'unitarisme obtus, personne n'ose plus se déclarer ouvertement "contre les langues régionales". On se contente de les priver des moyens de survivre. À cela, sert légalement la correction faite à l'article II de la Constitution, correction sans arrêt rappelée. Nous rappelons pour notre part que le débat qui eut lieu aux Assemblées réunies en Congrès pour l'occasion, vit plusieurs fois la défense des langues régionales et qu'il fut dit clairement que le texte n'était pas dirigé contre elles. Il était dirigé contre l'anglais hégémonique. Or, on peut maintenant constater que cette modification d'article, pas plus que la loi Toubon, n'a en rien interdit en France même l'invasion de l'anglo-saxon dans les usages commerciaux, techniques, scientifiques et artistiques d'avant-garde. Il n'a fait que progresser. La France s'est ainsi donné le ridicule, comme les États fascistes en leur temps, d'intervenir négativement sur les usages linguistiques en oubliant qu'ils sont socio-économiques et non juridictionnels. Par contre, le texte a été régulièrement utilisé pour interdire tout progrès à l'enseignement et à l'usage public des langues régionales. Cette utilisation par le Conseil constitutionnel a pris un aspect à la fois odieux et comique quand elle a fait revenir la France sur la signature que le Gouvernement avait donné à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, compte tenu du fait que sa signature était au choix des articles et que la France ne s'engageait par elle à rien d'autre qu'à ce qu'elle faisait déjà.

Une autre utilisation, contre l'intégration dans l'éducation nationale des écoles bretonnes Diwan, donné comme refus de l'enseignement des langues régionales "par immersion", revient à trois décisions de haute portée sur le plan civique :

1 - refuser à ces langues une normalité d'emploi communicationnel qui seule peut assurer leur reconduction sociale et pédagogique;
2 - invalider l'effort exceptionnel d'enseignants de tradition laïque qui ont abondamment prouvé qu'un enseignement bilingue permet d'obtenir de meilleurs résultats en langue française et de façon générale un plus haut niveau scolaire et culturel ;
3 - dissocier l'État de ses collectivités locales qui, nombreuses, ont soutenu cette mission éducative, qu'elles fussent communales, départementales ou régionales.

La campagne qui s'accroche à ces décisions fait constamment état de l'Unité de la République et de l'"exception française". Comme citoyens conscients, comptables de cette unité et juges de cette exception, nous en venons à demander de façon décisive si cette Unité est fondée sur un principe sacralisé et une théologie de l'État dont on connaît l'origine napoléonienne, ou sur l'adhésion à un contrat civique historiquement adaptable, et si cette "exception" est faite d'autre chose que des infractions à ce contrat par un unitarisme totalitaire et un impérialisme arrogant.

En prenant la responsabilité des termes de cet appel, nous sollicitons:
- les pouvoirs locaux et régionaux, en principe défenseurs des richesses culturelles de leur juridiction, et qui ont prouvé souvent, par leur soutien à la cause des langues régionales, qu'ils l'entendaient ainsi, à s'unir pour favoriser cette cause et la faire accepter par l'État,
- les candidats aux prochaines élections présidentielles à s'engager eux aussi en faveur de cette cause, et d'abord à faire modifier l'hypocrite article II de la Constitution.

Nous nous réservons en outre le droit d'intervenir auprès des instances européennes et internationales en dénonciation du manquement au droit culturel dont est encore et toujours coupable la France.

Premier signataire: Robert LAFONT, professeur honoraire de l'Université de Montpellier, professeur honoris causa de l'Université de Vienne, ancien président du Mouvement laïque des cultures régionales (Ligue de l'Enseignement), Officier des Arts et Lettres.


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